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Ann. Phys.
Volume 1, 1976
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Page(s) | 73 - 108 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/anphys/197601020073 | |
Published online | 26 April 2017 |
Effets de concentration dans les solutions de polymères : étude expérimentale par diffusion de neutrons(*)
Concentration effects in polymer solutions: experimental study by neutron scattering
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Service de Physique du Solide et de Résonnance Magnétique Laboratoire Léon-Brillouin C. E. N. Saclay — B. P. n° 2, F 91190 Gif-sur-Yvette, France.
I. Nous nous sommes efforcés de mesurer la fonction de corrélation de paire pour des polymères en solution par diffusion de neutron aux petits angles.
A. Dans les conditions expérimentales classiques, c’est-à-dire pour des solutions de polymères identiques. Dans ce cas, la technique neutronique est en compétition avec la diffusion de la lumière et des rayons X. Cependant, l’expérience est plus lumineuse au sens du contraste. En effet, l’intensité diffusée est proportionnelle au contraste entre le polymère et le solvant utilisé. Ce contraste est donné par l’incrément d’indice dans le cas de la diffusion de la lumière et la différence du nombre d’électrons dans le cas des rayons X. La diffusion des neutrons, elle, est gouvernée par le paramètre d’interaction neutron-noyau appelé la longueur de diffusion cohérente a. Cette quantité varie d’une façon quasi aléatoire d’un noyau à l’autre et un choix astucieux du polymère et du solvant peut permettre d’atteindre des facteurs de contraste beaucoup plus grands que pour les autres techniques.
B. Dans les expériences de type sélectif où l’on observe la conformation d’une chaîne de polymères dans une solution d’autres chaînes. Dans ce cas, le neutron est la seule technique utilisable. En effet, les longueurs de diffusion cohérente de l’hydrogène et de son isotope, le deutérium, sont très différentes. Il est donc possible de placer quelques polymères deutériés dans une solution de chaînes identiques protonées sans problème d’incompatibilité puisque les deux polymères sont de même nature chimique. En choisissant le solvant pour que le facteur de contraste des polymères protonés soit faible la mesure de l’intensité diffusée permet d’atteindre la fonction de corrélation d’une chaîne au milieu d’autres chaînes.
Le problème de la connaissance de la fonction de corrélation de paire dans les solutions de polymères se pose de la manière suivante :
— Dans le cas d’une chaîne, la fonction de corrélation PL([math]) est connue pour deux extrêmes de la concentration :
— à la limite de la concentration nulle, c’est-à-dire pour une chaîne soumise aux interactions dites de volume exclu, PL([math]) est de la forme : PL([math]) = 1/r4/3 ;
— dans la limite des concentrations tendant vers la densité, c’est-à-dire pour une chaîne qui n’est plus soumise aux interactions de volume exclu, PL([math]) = 1/r. La mesure de la fonction de corrélation d’une chaîne placée dans une solution de chaînes identiques, en fonction de la concentration, doit permettre de suivre le comportement de PL([math]) entre ces deux valeurs.
— De même, dans le cas classique où toutes les chaînes sont identiques, la fonction de corrélation de paire pour des solutions très diluées est un multiple de PL([math]), c’est- à-dire PT([math]) ~ 1/r4/3. Pour des solutions très concentrées, la corrélation PT([math]) se différencie du PL([math]) correspondant. Elle est de la forme d’une fonction 1/r écrantée par la présence des autres chaînes, c’est-à-dire PT([math]) ⋍ e–r/ξ/r où ξ est la longueur d’écran. Ici encore, la mesure de la fonction de corrélation doit apporter des renseignements sur l’évolution de PT en fonction de la concentration et notamment montrer si cette évolution est identique à celle de PL.
II. Le polymère utilisé dans ces expériences est le polystyrène. Le monomère a pour formule | C8H8 | et sa formule développée montre qu’un noyau aromatique est fixé sur la chaîne de carbone. La présence de ce noyau benzénique fait que le polystyrène n’est pas un bon exemple d’une chaîne flexible. Cependant, c’est un polymère dont on sait parfaitement contrôler la fabrication et qui a été étudié d’une façon extensive par toutes les techniques physico-chimiques et ses propriétés sont bien connues. D’autre part, la deutériation du monomère est facile. Nous avons utilisé des polymères de masse moléculaire 5 × 105 et 1,1 × 106. Le solvant est le sulfure de carbone qui est un bon solvant du polystyrène. Il est pratiquement « transparent » pour le rayonnement neutronique et le facteur de contraste entre le polystyrène protoné et le CS2 est très faible, ce qui est favorable pour l’étude du paragraphe I.B.
Pour l’étude de la fonction de corrélation PT de deux segments de n’importe quelle chaîne (paragraphe I.A), nous avons utilisé des solutions de polystyrène deutérié dans du CS2 à cinq concentrations différentes comprises entre c = 0,001 g cm–3 (solution diluée) et c = 0,15 g cm–3 (solution concentrée).
La fonction de corrélation de deux segments d’une même chaîne, PL (paragraphe I.B) a été mesurée pour des solutions de polystyrène protoné à six concentrations différentes comprises entre 0,025 g cm–3 et 0,50 g cm–3 dans lesquelles la concentration de polystyrène deutérié était de l’ordre de 0,005 g cm–3.
Dans les deux cas, l’intensité est obtenue par soustraction de l’intensité diffusée par le « solvant » (le sulfure de carbone pur dans le cas de la mesure de PT ou la solution de chaînes protonées dans le CS2 dans le cas de la mesure de PL). Les dimensions des cellules expérimentales ont été choisies de telle sorte que les effets de diffusion multiple soient négligeables. Les valeurs des distances bout à bout des polymères utilisés sont telles que le domaine intermédiaire dans lequel les mesures doivent être faites est donné par la relation :
10–2 Å–1 ≤ q ≤ 10–1 Å–1 (1)
où q est le vecteur de diffusion donné par la relation :
[math]
où λ est la longueur d’onde des neutrons incidents et θ l’angle de diffusion.
Les résultats ont été obtenus avec l’appareillage de diffusion aux petits angles installé auprès du réacteur EL3 de Saclay. Un spectromètre à bras tournant spécialement transformé pour la diffusion aux petits angles a été implanté à la sortie d’un tube conducteur de neutrons « froids ». Ce dispositif délivre un faisceau de neutrons dont le spectre en longueur d’onde s’étend d’une façon continue de 4 Å à 15 Å. La longueur d’onde incidente utilisée dans nos expériences, choisie à l’aide d’un monochromateur en graphite pyrolytique, est de λ = 4,62 ± 0,04 Å.
La définition angulaire du faisceau incident et du faisceau diffusé est donnée par une série de fentes verticales donnant une divergence angulaire de 3 × 10–3 radian (12’). Les valeurs angulaires correspondant au domaine du vecteur de diffusion (1) sont alors :
0,42° < θ < 4,2°
Avec cet appareil, l’intensité est enregistrée à l’aide d’un détecteur placé sur un bras mobile tournant autour d’un axe passant par l’échantillon.
III. Dans une expérience de diffusion de neutrons, l’intensité diffusée est proportionnelle à la transformée de Fourier S(q) de la fonction de corrélation. Nos expériences nous ont fourni deux séries de courbes : ST(q) pour la diffusion par des solutions de chaînes identiques et SL(q) pour la diffusion par des solutions où seules quelques chaînes sont marquées. Le paramètre variant pour chaque série est la concentration.
Les fonctions ST(q) et SL(q) ont une dépendance en transfert de moment q qui varie continûment avec la concentration. Cette variation constitue le « cross-over ». L’objet de cette thèse est la mise en évidence et l’analyse de ces « cross-over ».
La mise en évidence est faite par le tracé des courbes S(q). L’analyse du « cross-over » répond aux deux questions suivantes :
— A quelle valeur du transfert de moment q = q* peut-on associer le « cross-over » pour une concentration donnée c (ou inversement à quelle concentration c* peut-on associer le « cross-over » à q donné) ?
— Quelle est la nature du changement de comportement de part et d’autre du « cross-over » ?
Pour répondre à ces questions, nous avons analysé les résultats à l’aide de deux modèles représentant chacun une hypothèse « extrême » :
a) le modèle A, B,
où S(q) = A/q2 pour q < q* et S(q) = B/q5/3 pour q >q* ;
b) le modèle A + B,
où S(q) = A/q2 + B/q5/3.
L’analyse des résultats se fait en deux étapes. Dans la première, on évalue les effets « parasites » dus à la concentration finie en molécules protonées et en molécules deutériées sur le signal S(q). Ces effets se traduisent par un élargissement des courbes par exemple du type [math]. La présence des termes κ2 modifie considérablement le signal diffusé dans le voisinage de q = κ. Lorsque les quantités se sont correctement évaluées, la seconde étape consiste en l’analyse de l’exposant du vecteur de diffusion q.
L’interprétation des résultats nous a permis de mettre en évidence les comportements suivants :
— le cross-over des fonctions ST a une « avance » considérable sur le cross-over des fonctions SL(q*(ST) > q*(SL))
— l’évolution des ST se fait suivant le modèle A, B ; celui des SL selon le modèle A + B.
Ces résultats représentent l’information la plus détaillée que l’on peut obtenir par une expérience de diffusion aux petits angles. Ils mettent clairement en évidence le caractère « anormal » de la configuration des polymères en solution (c’est-à-dire l’incompatibilité avec les prédictions de champ moyen). Ils confirment les résultats obtenus précédemment par observation du rayon de giration et par pression osmotique. En liaison avec des théories récentes, ils révèlent un aspect original des phénomènes critiques.
Abstract
I. We attempt to measure the pair correlation function for polymers in solution by the small angle neutron scattering technique.
A. In classical experimental conditions, i. e. for solutions of identical polymers. In this case the neutron scattering technique competes with light or X Ray scattering techniques. However in the neutron experiment the contrast effect can be exploited in an unique way to throw more light on the phenomenon under study. In effect the scattered intensity is proportional to the contrast between the polymer chain and the solvent. This contrast is given by the index increment in the case of light scattering and, for X Ray scattering, by the difference between the electron number. Neutron scattering, on the other hand, is determined by the neutron-nucleus interaction and is described by a parameter called the coherent scattering length. This quantity varies quasi randomly from nucleus to nucleus and by a suitable choice of polymer and solvent it is possible to obtain contrast factors larger than those offered by other techniques.
B. In selective experiments where one observes the conformation of one single chain in solution of other chains. In this case the neutron scattering technique turns out to be the only useful technique. In effect, the coherent scattering length of hydrogen and its isotope, deuterium, are very different. Therefore it is possible to put some deuterated polymers inside a solution of the same protonated chains without the problem of incompatibility, since these two polymers are of the same chemical nature. By selecting a solvent to insure a low contrast factor for protonated chains a measure of the scattered intensity allows the determination of the correlation function of one single chain in this solution.
The problem of determining the pair correlation function in polymer solutions presents itself in the following aspect:
— In the case of one single chain, the correlation function PL([math]) is known for the two « extreme » concentration values:
— for concentrations going to zero, i. e. for one chain with excluded volume effect, PL([math]) behaves as [math] ;
— in the limit of high concentration, near the bulk density, the interactions due to excluded volume vanish and PL([math]) behaves as for a free chain, namely [math].
Measurements of the correlation function of one single chain in a solution of identical chains, and the study of its concentration dependence allows one to determine the behaviour o PL([math]) between these two extreme values.
— In the normal case, where all the chains are labelled, the pair correlation function for very dilute solutions is a multiple of PL([math]), i. e. [math]. For more concentrated solutions the correlation PT([math]) is different from the corresponding PL([math]) function. It behaves like a 1/r function, screened by other chains, i. e. like [math] where ξ is the screening length. In this case, measurement of the correlation function throws some light on the behaviour of PT([math]) and its concentration dependence. It will be interesting to see if this dependence is the same as for PL([math]).
II. The polymer used in these experiments is polystyrene. The chemical formula of the monomer is (C8H8). Its structural formula indicates that an aromatic unit is fixed on the carbon chain. The presence of this benzene unit does not make polystyrene an excellent exemple of flexible polymer chain. However this happens to be a polymer whose fabrication can be perfectly controlled. Deuteriation of this monomer is easy and all its physical and chemical properties are well known. The segment lenght is 20 angstroms and we have used polymers of molecular mass 5 × 105 and 1.1 × 106. The solvent was carbon dissulfide (CS2). It is a « good » solvent for polystyrene and nearly « transparent » for neutrons. The contrast factor between protonated polystyrene and carbon dissulfide is very low, thus favoring the study mentioned in paragraph I.B.
For the study of the correlation function PT([math]) (paragraph I. A) we have used solutions of deuterated polystyrene in CS2 at five different concentrations in between C = 0.001 g cm–3 (dilute solution) to C = 0.15 g cm–3.
The correlation function for the two segments of the same chain PL([math]) (paragraph I.B) was measured for solutions of protonated polystyrene for six concentrations ranging from 0.025 g cm–3 to 0.50 g cm–3 ; for each solution the concentration of deuterated polystyrene was 0.005 g cm–3.
The signal was obtained by substracting the scattered intensity of the solvent from the scattered intensity of the sample. The cell dimensions were so chosen as to reduce the multiple scattering effects to negligible proportions. The characteristic length of the polymers used in this study (i. e. mean end to end distance and subunit length) set the following boundaries for the intermediate scattering vector range:
10–2 Å–1 ≤ q ≤ 10–1 Å–1 (1)
where q, the scattering vector is defined by
[math]
λ is the neutron wavelength and θ the scattering angle.
The experiments were performed on the small angle neutron scattering spectrometer of the Laboratoire Léon Brillouin at Saclay. A double axis spectrometer, specially designed for small angle scattering studies was set up at the exit of a « cold » neutrons guide. This set up gives a neutron beam with a wavelength spectrum ranging from 4 Å to 15 Å. The incident wavelength used in our experiments, defined by a pyrolitic graphite crystal monochromator was λ = 4.62 ± 0.04 Å.
The angular divergences of the incident and scattered beams were 3 × 10–3 radians (12 minutes) and the angles corresponding to the intermediate scattering vector range (1) was:
0.42 degrees < 0 < 4.2 degrees
The scattered intensity was recorded with a BF3 detector mounted on a movable arm rotating around a vertical axis at the sample position.
III. In a neutron scattering experiment, the scattered intensity is proportional to the Fourier transform S (q) of the correlation function. Our experiments yield two sets of curves: ST(q) for scattering by solutions of identical chains, and SL(q) for scattering by solutions where only few chains are labelled the variable parameter for each set is the concentration.
The ST(q, c) and SL(q, c) functions have a q dependence with a continuous variation with concentration. This variation constitutes the cross-over. The principal aim of this thesis is to establish the existence of these cross-overs and analyse them.
The existence of the cross-over is displayed by the S(q, c) curve plots. The analysis of the cross-over seeks to answer in following two questions:
— For a given concentration c at what q = q* value does this cross-over take place?
— What is the nature of this cross-over?
To answer these questions, we have analysed the results for each concentration with the help of two model, each being an extreme limit:
a) the (A, B) model where S(q) = A/q2 for q < q* and S(q) = B/q5/3 for q > q* ;
b) the (A + B) model where [math]
The data analysis is done in two steps. First we evaluate the « extra » effects due to finite concentration in protonated and deuterated chains upon S (q,c). These effects are expressed as a broadening of the curves, for example [math] the term κ2 greatly alters the scattered signal in the vicinity of q = κ. When these quantities are correctly estimated, the second step is to analyse the exponent of the scattering vector q.
The data analysis gives the following results:
— the value of the cross-over scattering vector q* is greater for the ST(q) function than the value for the SL(q) function:
q*(ST) > q*(SL)
— the variation of the ST functions is in accordance with the (A, B) model, whereas the behaviour of the ST functions is consistent with the (A, B) model.
These results constitute the most detailed information that can be obtained by a small-angle scattering experiment. Clearly they put in evidence the « anormality » of the polymer configuration in solution, i. e. the incompatibility with the mean field description. They confirm the data obtained on radius of giration measurements and osmotic pressure. Following the latest theories, they reveal an origin aspect of the critical phenomena.
Thèse de Docteur ès Sciences Physiques, soutenue le 17 novembre 1975 devant la Commission d’Examen (Université Louis-Pasteur, Strasbourg). Composition du Jury : H. Benoit (Président), P. G. de GENNES, G. Weill, D. Cribier, G. Jannink (Examinateurs) (Numéro d’enregistrement au C. N. R. S., n° A012077).
© Masson et Cie, Paris, 1976