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Ann. Phys. Fr.
Volume 31, Number 2, 2006
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Page(s) | 1 - 133 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/anphys:2006007 | |
Published online | 19 December 2006 |
Nucléation, ascension et éclatement d'une bulle de champagne
Nucleation, rise and bursting of a Champagne bubble
Laboratoire d'œnologie et chimie appliquée, Faculté des
Sciences, Moulin de la Housse, B.P. 1039, 51687 Reims Cedex 2, France.
L'objectif général de ce travail consacré à l'étude des processus physicochimiques liés à l'effervescence des vins de Champagne était de décortiquer les différentes étapes de la vie d'une bulle de champagne en conditions réelles de consommation, dans une flûte. Nous résumons ci-après les principaux résultats obtenus pour chacune des étapes de la vie de la bulle, depuis sa naissance sur les parois d'une flûte, jusqu'à son éclatement en surface.
Nucléation
À l'aide d'une caméra rapide munie d'un objectif de microscope, nous avons pu mettre à mal une idée largement répandue. Ce ne sont pas les anfractuosités de la surface du verre ou de la flûte qui sont responsable de la nucléation hétérogène des bulles, mais des particules adsorbées sur les parois du verre ou de la flûte. Dans la majorité des cas, il s'agit de fibres de cellulose creuses dont les propriétés géométriques permettent le piégeage d'une poche d'air en leur sein au moment du versement. Un modèle de piégeage a été construit et met en avant le rôle fondamental joué par la vitesse du versement. Plus cette vitesse augmente, plus on augmente la probabilité de piéger des poches d'air au sein de ces fibres, provoquant ainsi une effervescence plus importante. La dynamique de production des bulles a également été filmée in situ à l'aide de la caméra, puis modélisée en utilisant les équations de la diffusion adaptées à la géométrie de notre fibre supposée approximativement cylindrique. Nous avons montré que le temps caractéristique de production d'une bulle par la fibre est largement gouverné par la croissance de cette petite poche de gaz par diffusion du CO2 dissous vers la poche. Nous avons démontré que la convection du liquide joue un rôle essentiel lors du transfert de masse du CO2 dissous vers la poche. En effet, un modèle purement diffusif ne permet pas du tout de reproduire la dynamique de croissance expérimentale de ces poches de gaz piégées au cœur des fibres. Nous avons également pu mettre en évidence des changements spectaculaires dans la dynamique de bullage de certains sites de nucléation suivis au cours du temps pendant le processus de dégazage. Ces observations font de la fibre de cellulose immergée dans le champagne le plus petit système de bullage non-linéaire observé à ce jour.
Dynamique ascensionnelle
Pour mesurer la vitesse d'une bulle tout au long de son trajet vers la surface libre du champagne, nous avons tiré profit de la production répétitive de bulles au niveau des sites de nucléation. Par la mise en place d'un dispositif expérimental simple qui associe une lumière stroboscopique et un appareil photographique muni de bagues macros, nous avons pu accéder à l'observation fine des trains de bulles ainsi qu'à la détermination de la vitesse ascensionnelle des bulles. Les mesures expérimentales du rayon et de la vitesse d'une bulle nous ont permis de déterminer le coefficient de traînée d'une bulle montante qui constitue une mesure indirecte de son état de surface en termes de mobilité interfaciale. Ces mesures nous ont montré que l'interface d'une bulle de champagne conserve une grande mobilité interfaciale pendant sa phase ascensionnelle, à la différence des bulles de taille fixe qui montent dans une solution de macromolécules tensioactives. C'est la faible dilution du champagne en macromolécules tensioactives et le grossissement continu des bulles pendant l'ascension qui assurent aux bulles une faible contamination de leur interface. Pour comparaison, nous avons réalisé le même type de mesures sur des bulles de bière. Le contenu en macromolécules tensioactives étant beaucoup plus important dans une bière, l'effet de dilution du matériel tensioactif à la surface des bulles lié à l'accroissement de la surface des bulles ne compense plus l'adsorption massive des tensioactifs à la surface des bulles. Contrairement aux bulles du champagne, les bulles de bière adoptent vite un comportement de type sphère rigide. Nous avons également discuté l'influence relative de certains paramètres sur la taille des bulles lorsqu'elles parviennent en surface. Il a notamment été montré que le rôle théorique joué par la température du champagne sur la taille des bulles est quasiment négligeable. Pour finir, nous avons proposé d'essayer de faire du train de bulles une sorte d'empreinte digitale du liquide effervescent dans lequel il évolue en analysant la dynamique ascensionnelle des bulles via la mesure de leur coefficient de frottement. Nous avons pu différencier à ce jour par cette méthode trois grandes familles de boissons gazeuses : les vins effervescents au sens large (champagne compris), les bières et les eaux gazeuses.
Éclatement
En utilisant les techniques classiques de la macrophotographie, nous avons obtenu des instantanés de la situation qui suit immédiatement la rupture du mince film liquide qui constitue la partie émergée d'une bulle isolée en surface. Nous avons ainsi pu mettre en évidence l'existence des jets de liquide engendrés par les éclatements de bulle, et leur rupture en gouttelettes suite au développement très rapide de l'instabilité de Rayleigh-Plateau. En faisant un parallèle légitime entre le pétillement des bulles à la surface du champagne et le “pétillement de l'océan”, nous avons émis l'idée que les gouttelettes de jet étaient beaucoup plus concentrées en matériel tensioactif (et potentiellement aromatique) que le cœur de phase du liquide. Il semble donc que l'éclatement de bulles joue un rôle essentiel dans l'effet exhausteur d'arômes au cours de la dégustation d'un champagne. Pendant les quelques secondes qui suivent le versement du champagne dans la flûte, nous avons également réalisé des clichés macrophotographiques et des films à haute vitesse d'éclatements de bulles en monocouche (ou radeau de bulles). Les premiers résultats de ces observations font apparaître des déformations spectaculaires dans le film liquide des bulles premières voisines littéralement aspirées par succion capillaire dans la cavité laissée vacante par la bulle centrale en train d'éclater. Ces premières images suggèrent des contraintes, dans le mince film des bulles déformées, très supérieures à celles qui existent dans le sillage d'une bulle isolée qui éclate. Nous avons également pu mettre en évidence des différences structurales entre les jets de liquide qui suivent l'éclatement des bulles isolées et celles qui éclatent dans un radeau de bulles.
Abstract
People have long been fascinated by bubbles and foams dynamics, and since the pioneering work of Leonardo da Vinci in the early 16th century, this subject has generated a huge bibliography. However, only quite recently, much interest was devoted to bubbles in Champagne wines and carbonated beverages. Since the time of the benedictine monk dom Pierre Perignon (1638-1715), champagne is the wine of celebration. This fame is largely linked to the elegance of its effervescence and foaming properties. In this book, the latest results about the chemical physics behind the bubbling properties of Champagne and sparkling wines are collected and fully illustrated. The first chapter is devoted to the history of champagne and to a presentation of the tools of the physical chemistry of interfaces needed for a whole comprehension of the book. Then, the three main steps of a fleeting champagne bubble's life are presented in chronological order, that is, the bubble nucleation on the glass wall (Chap. 2), the bubble ascent and growth through the liquid matrix (Chap. 3), and the bursting of bubbles at the liquid surface (Chap. 4), which constitutes the most intriguing, functional, and visually appealing step.
© EDP Sciences, 2006